Anecdote sur la crinoline

Dans "Le Musée des Familles" de l'année 1854-55 , on peut lire ce qui suit :

Un phénomène inquiétant : Aux derniers bals du carnaval et de la mi-carême, on a commencé à s'inquiéter d'un phénomène qui menace de troubler sérieusement la vie sociale. Ce phénomène est l'ampleur des robes. De crinolines en baleines, nos belles dames arrivent à dépasser les paniers de leurs grands'mères. Tous les salons sont trop petits désormais pour les toilettes. Il ne tient qu'une femme, ou plutôt qu'une robe, sur le plus vaste canapé. Il faut trois chaises à une merveilleuse qui s'assied, une pour sa personne et deux pour ses volants. Certes, les salons de l'Hôtel-de-Ville sont immenses, et ils avaient toujours parus tel, malgré les éblouissantes cohues qui s'y rassemblent. Eh bien, aux dernières fêtes, ils ont semblé trop petits pour les dix mille jupes et les deux cents mille volants qui s'y étaient donnés rendez-vous.




Tirée du livre Musée des Familles de l'anéee 1854-55




 Il y a mieux, ou pis, s'il faut en croire un chroniqueur :

Une élégante en toilette de bal monte dans sa voiture, son mari s'apprête à franchir le marche-pied.

Petite conversation, très édifiante !

-Eh bien! monsieur que faites-vous donc ? dit-elle
-Ce que je fais ?... Mais il me semble que c'est tout simple : je vais me mettre en voiture,
-Vous voyez bien qu'il n'y a pas de place,
-Comment! Il n'y a pas de place pour deux dans notre coupé ?
-Quand je suis en toilette, non. Voulez-vous donc que j'arrive au bal avec une robe chiffonnée, froissée, fripée ? -Mais, pourtant, je veux aller à ce bal, moi aussi,
 -Qui vous empêche ? Envoyez chercher une voiture de place,
-Un fiacre!... Mais avant qu'on l'ait trouvé...
 -Ou bien montez sur le siège.
 -Par exemple !
 -Enfin arrangez-vous comme vous voudrez; mais vous placer ici avec moi, c'est absolument impossible. Fermez la portière, je vous en prie, l'air est glacial, et dites au cocher de partir, il est près de minuit.

les inconvénients de la crinoline



Ainsi va le monde conjugal.
Point de fête où l'on ne rencontre quelques maris traités de la sorte.
La toilette de leur femme, qui leur coûte si cher, a, de plus, pour eux le désagrément de les mettre à pied lorsqu'ils ont voiture, et de les contraindre à suivre en fiacre le confortable équipage dont leur égoïste moitié leur interdit l'accès. - On prétend qu'il y a aux tribunaux de la Seine des demandes en séparation de corps, fondées sur l'ampleur des jupes. L'incompatibilité de vêtement va se joindre à l'incompatibilité d'humeur.

Au bal de Vély-Pacha, un Anglais proposait un moyen de concilier la grandeur de parures avec la petitesse des véhicules.
 -Mesdames, disait-il à trois...robes qui remplissaient à elles seules un boudoir, imitez la fameuse comtesse de Carliste, cette coquette britannique d'il y a deux cents ans, qui serait immortelle par ses fantaisies, si elle ne l'était par le portrait de Van-Dyck la Comtesse Carliste

la Comtesse Carliste
 
Comtesse Carliste
C'est elle qui détourna une rivière pour avoir dans son parc une cuvette à laver ses mains. La cuvette était un bassin de marbre de Carare, et le pot à l'eau un vase antique renversé par une statue. Ce cabinet de toilette coûta deux cent mille livres à la comtesse. Voici l'expédiant qu'elle imagine, et que je vous propose, pour éviter de froisser ses parures en se rendant au bal. Elle fit construire une énorme chaise qu'elle nommait un étui à porteurs, et dans laquelle elle se tenait debout, appuyée à un dossier de velours, les mains accrochées à des anneaux pour garder l'équilibre, ses vastes jupes, ses rubans et ses dentelles flottant autour de sa personne, comme autour du mannequin de sa couturière. Elle arrivait ainsi à la cour et dans les salons de l'aristocratie sans le moindre pli à sa robe, sans le moindre dérangement dans ses fanfreluches; aussi son entrée dans les fêtes causait un éblouissement général. On nous assure que cette confidence de l'Anglais a eu des résultats, et que plusieurs élégantes ont commandé des voitures sans coussins ni banquettes, avec un siège unique, celui du cocher. Ces voitures s'appellent d'avance : des étuis à quatre roues. S'il en paraît quelques-unes à Longchamps, nous les ferons dessiner.