L'évolution de la crinoline


du XVI è siècle à la fin du second empire



Voici ce qu'on peut lire dans La Mode Illustrée du 12 Mars 1865 :


La crinoline n’est point une invention moderne ; elle a paru au dixhuitième siècle, on l’a signalée dans le dix-septième et même dans le seizième siècle.

A ces deux dernières époques, son règne a été presque aussi long et aussi bien établi que celui du grand roi, elle a duré cinquante ans ; pendant un demi-siècle, elle a résisté à toutes les attaques et les flèches de l’ironie.

Si nous remontons, non pas au déluge, mais à l’origine de la crinoline, nous découvrirons tout d’abord que, si la chose est la même, le nom a souvent changé ; la désignation actuelle est pitoyable, il faut en convenir, car la crinoline est faite, non avec du crin, mais avec du fer.

En ce qui concerne les jupons cerclés, l’équité nous oblige à enlever l’honneur de l’innovation à notre pays pour le restituer à l’Espagne. C’est à la cour de Charles Quint, à cette époque où les hommes vivaient bardés de fer, où les femmes étaient prisonnières dans les mille liens d’une étiquette ombrageuse qui pesait, non pas seulement sur les souveraines, mais sur toutes les familles, que le jupon à cercles prit naissance. La grandesse d’Espagne, roide, inflexible, fière, a laissé ce témoignage irrécusable de son caractère : le jupon à cercles de fer ! Aujourd’hui il n’est plus qu’une réminiscence, car véritablement on n’y saurait retrouver le symbole de la gravité, de la roideur castillanes.

A leur origine, les cercles se bornaient à tendre fortement, sur son bord inférieur, la robe qui se rétrécissait sur le corsage. Ces cercles furent d’abord faits en bois, absolument comme s’il s’agissait d’une barrique, plus tard on emploiera de très gros fils de fer, des bandes d’étain, et même des baleines. Les jupons ainsi construits s’appelaient gardinfante en Espagne, vertugadin en France ; en Angleterre, on les nommait fartingale, corruption de la désignation française.

Ces jupons avaient, à leur origine, une envergure modérée ainsi que l’on peuts’en convaincre en consultant les gravures qui représentent la reine Elisabeth, et une dame de la cour de France en 1530.


 
1530 1560
Dame de la Cour de France Elisabeth, reine d'Angleterre



Ce fut, en France, que l’on exagéra leur dimension, et la reine Marguerite, femme d’Henri IV, portait des vertugadins si gigantesques que nulle porte ne pouvait lui livrer aisément passage. Pour augmenter encore son envergure, Marguerite de Valois plaçait d’immenses oreillers sur ses hanches. C’est de cette reine que datent les corsages décolletés. Jusqu’à elle, les femmes avaient toujours porté des corsages fermant au cou. Les jupons bardés de fil de fer furent accueillis avec quelque difficulté par les dames allemandes ; elles s’y attachaient pourtant, car la police dut intervenir pour les leur faire quitter, ainsi qu’il appert d’une ordonnance datée de 1619 proclamée à son de trompe dans le Brunswick et le
Luxembourg.

La gravure qui représente le costume d'une dame anglaise de qualité, dans l'année 1600, marque déjà la décroissance des jupons à cercles.

l1600
L’envergure de la robe n’est plus extravagante, et le gonflement des hanches est dû surtout à la principale robe, repliée en arrière.

La puissance espagnole décroissait, comme le guardinfante, son ambulant symbole, accepté par tous les pays. L’affranchissement s’incarna dans les robes de l’année 1630, qui tombaient naturellement en formant un peu la queue par derrière.

Bientôt apparaissait sur la scène du monde, pour la remplir de sa puissante personnalité, le roi Louis XIV, qui imposa à toutes les nations civilisées les modes suivies par sa cour.

1680

Les jupons à cercles, renouvelés du siècle dernier, étaient faits en jonc tressé : de là le nom de panier, qui leur fut conservé même lorsqu’on les fit en baleines recouvertes d’étoffe ; l’usage s’en perpétua avec quelques changements qui ne furent pas toujours heureux. L’un des plus extravagants, sans contredit, est représenté par la gravure de l'année 1730 copiée sur une gravure du temps conservée dans le Musée britannique.

1730



Le jupon forme autour des hanches une table circulaire, sur laquelle les coudes reposent à l’aise, et qui pourrait être utilisée pour prendre le thé. Arrivé à cette disposition, le jupon n’est plus un vêtement, c’est un meuble ambulant d’aspect tout à fait grotesque, et que l’on trouvait probablement charmant en 1700.

 En vérité, quand on examine cette gravure, (ci-dessous) on est bien fière et bien heureuse de vivre sous le régime d’une crinoline moins extravagante.

crinolinne 1864
Jupon à cercles de 1864, ci- contre

Le jupon à cercles recouvert d’une robe très-ample redevient grâcieux vingt ans plus tard ; une gravure le reproduit. Voyez cette robe flottante sans être collante : n’est-elle pas la plus seyante parmi celles qui ont été empruntées aux divers âges de la crinoline ? Ce sont les modes adoptées sous le règne de Louis XV, modes sur lesquelles on arrête complaisamment ses regards même lorsqu’on vit à une époque qui les repousse. Les tableaux de Watteau reproduisent fidèlement les amples paniers, les hauts corsets, les corsages échancrés, les doubles robes en soieries épaisses, les dentelles précieuses couvrant la poitrine et flottant sur les bras, les petits souliers à hauts talons et à rosettes, les coiffures composées de plumes, de rubans, de pierreries et de fleurs. C’est toujours vers cette époque que se reporte la mode lorsqu’elle a traversé une phase ingrate et qu’elle cherche la grâce dans le changement.

1750
Dame française de 1750

Le jupon à cercles dura autant que Louis XV, autant que la monarchie française;  il tomba avec beaucoup d’autres choses lorsque la Révolution vint détruire tout ce qui existait. L’infortunée Marie-Antoinette le portait encore dans les réceptions de Versailles, dans les réunions plus intimes
du petit Trianon. Il disparut balayé par la tourmente révolutionnaire, et demeura inaperçu pendant la République, le Directoire, le Consulat et l’Empire. Vers les dernières années du règne de Louis-Philippe, certains symptômes précurseurs l’annonçaient; on porta des jupons faits en tissu de crin (de là la dénomination de crinoline), puis on leur substitua plusieurs jupons de percale fortement amidonnés;
on en porta jusqu’à huit ou dix à la fois. Cela fut reconnu trop lourd, et l’on reprit l’invention à son origine; on mit des roseaux danx dans l’ourlet des jupons. Enfin l’acier régna sans partage; il figure aujourd’hui dans toutes les toilettes féminines, sous toutes les latitudes.

Le jupon à cercles ne durera pas toujours, le passé en fait foi; mais il reparaîtra toujours, le passé en fait encore foi. Tous les défauts qui lui sont attribués par ses détracteurs prouvent que les femmes ne s’en détacheront jamais entièrement. A entendre ses ennemis, le jupon à cercles est disgracieux, incommode, dangereux, et même ridicule. Ces accusations sont-elles bien exactes ? S’il en est ainsi, on peut se dispenser de l’attaquer, car on n’en triomphera jamais. Si, malgré sa laideur, ses ridicules et les périls qu’il entraîne, les femmes persistent à leporter, il est bien et dûment prouvé qu’on ne le détrônera jamais complètement. On affirme que les femmes laides sont celles qui inspirent les affections les plus vives et les plus durables. En vertu de la même contradiction inexplicable, du moment où l’on aime une chose ou un être, en dépit des défauts les plus avérés, il est certain que l’on ne s’en détachera plus; on ne redoute plus les déceptions, on accepte d’avance tous les inconvénients, on persiste dans sa préférence, en dépit de tous les raisonnements.

Emmeline RAYMOND


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