Le marchand de cheveux



Ce petit texte est extrait de " La Physiologie du COIFFEUR , de L.Lemercier de Neuville , en 1862

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Est un type à part

Il unit la faconde du Gascon à la finesse du Normand.

A mes yeux, c'est un sacrilège, un profanateur ; mais quand j'approfondis la question, s'il dépouille les unes pour les autres, il n'y a pas si grand mal.

Au bout du compte, je ne verrai peut-être jamais ces petites paysannes dépouillées de leur ornement naturel, et quand bien même  jes les verrais, elles n'en seraient pas moins jolies, car - il n'y a que les Normandes pour trouver cela - les Normandes se font raser la tête sauf  la nuque où se trouve le chignon qu'elles étalent si coquettement au sud de leur haut bonnet. - A l'oeil nu , elles n'ont rien perdu, - que dis-je ? - vendu ! Et comme on ne va point les trouver dans les métairies à l'heure où elles recouvrent leur serre-tête d'un bonnet de coton, vraiment on aurait tort de les blâmer ...

Puis nos grandes dames ne le souffriraient pas,

Ni même nos jeunes filles,

Ni leurs mères.

Après tout, le terrain est bon, et tête rasée à dix-huit ans n'est que plus chevelue à trente.

Trente ans ! c'est l'âge où les paysannes n'ont plus de beau que leurs cheveux, - mais alors elles ne les vendent plus.

Excusons donc le marchand de cheveux. D'abord il est l'ami des jeunes filles. Mais c'est la bête noire de leurs amoureux.

Il arrive dans le village en cabriolet, comme un dentiste. Autrefois il troquait les chevelures contre les foulards, des bonnets, des petits châles, des rubans, des boucles d'oreille en doublé ; aujourd'hui les  paysannes sont moins ...Indiennes, elles aiment mieux de bon argent.

Une chevelure sur pied  (sur tête plutôt) vaut une dizaine de francs. Le marché s'opère séance tenante, donnant donnant.

La fille monte dans la voiture, en cinq minutes elle est tondue, payée, recoiffée et enfuie, car les gars se moquent d'elle.

Ce qui n'empêche pas que sa compagne n'en fasse autant et qu'en deux heures toutes les filles du villlage y passent.

Alors le marchand de cheveux n'a qu'à bien se tenir et son cheval n'a qu'à être vigoureux, car les amoureux vexés veulent leur faire un mauvais parti. La boue, les pierres, les injures pleuvent sur la capote du cabriolet. Mais le cheval est solide et le marchand de cheveux habitué à ce dénoûment n'est pas facile à décontenancer.

Le lendemain la même scène se passe au village voisin.

En Auvergne - A Ambert, Saint-Anthème, Arlant, Olliargues, la Chaire-Dieu ou Riom, etc., - le marché aux cheveux s'implante au milieu du marché aux oeufs et au beurre. Les paysannes, les riches fermières même, - car cette spéculation est un usage dans le pays, - arrivent devant les voitures  des marchands de cheveux, et, enlevant leur bonnet, laissant flotter leurs cheveux sur leurs épaules ; alors ellles vont de l'un à l'autre, offrant beurre et cheveux avec le même empressement.

Ce marché a vraiment un cachet tout particulier. Les voitures des marchands, surmontées d'un drapeau tricolore et d'une mèche de cheveux sont rangées en ligne d'un côté ; tout à l'entour errent les paysannes échevelées, avec leurs paniers de légumes et de fruits, les unes conduites au marchand par leurs amoureux, d'autres par leur mère, d'autres par leur mari.

Et le bruit, et les rires, et les injures ! C'est réellement pittoresque.

Le Piémont, l'Auvergne, la Creuse, l'Irlande, la Bretagne et la Normandie sont les pays d'où viennent les plus belles chevelures.

Quand le archand de cheveux a fini sa tournée, il vient à Paris revendre sa marchandise à des marchands spéciaux.

Ceux-ci la lavent, la dégraissent, la montent en queues, en tours, en bandeaux, ou quand elle est inférieure, l'établissent en barbes, en crépés.

Parmi ces derniers, je citerai Burgnion, rue Mauconseil, qui fournit à tous les coiffeurs. Comme Gellé ou Pinaud il leur avance à long terme quelquefois pour mille france de marchandises et facilite ainsi leur établissement.

Tous les chiffonniers sont marchands de cheveux. Les cheveux de femme arrachés par le peigne fin, enveloppés dans la papillotte, sont, en général, jetés dans les tas d'ordures. Bien des femmes ignorent que souvent ces débris de leur beauté capillaire reviennent sur leur tête dans une natte de peu de valeur.

Cette qualité de cheveux sert à faire le  tête et pointe, c'est-à-dire une natte dont les cheveux sont atttachés indistinctement par la racine ou par le bout.

DERNIERES REVELATIONS. - En cheveux comme en tout méfiez-vous du bon marché. Il y a des nattes d'un mètre de longueur qui coûtent : 3 fr., 6 fr., et 50 fr. Ces différences de prix cachent des pièges.

Quand vous verrez des nattes à 3 fr., ô jeunes femmes, méfiez-vous. C'est comme si vous voyiez à l'entrée d'un joli bois cette inscription fallacieuse :

"Ici il y a des pièges à biches"

Voici l'explication du rébus :

1°  Natte  à 3 fr. - Deux tiers : crin végétal, chanvre ; un tiers, cheveux de dernière qualité.

2° Natte à 6 fr.  -  Toute en cheveux de 50 centimètres de longueur fixés en spirale autour d'une corde.

3° Natte  à 50 fr. -  Cheveux longs d'un mètre, - nature .  Axiome :  les cheveux qui coûtent le plus cher, sont réellement les moins chers.


Post-criptum
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 Au moment de terminer ce chapitre, je trouve dans la Revue  orientale et américaine  un article très-sérieux de M. Richard Cortambert qui vient compléter mon travail. J'en extrais la note suivante : "On peut évaluer le commerce  des cheveux, en France seulement, à une valeur de 1,500,000 fr. Les cheveux, pour être de bon emploi, doivent être poussés à l'abri de l'air, n'avoir jamais été crépés et avoir même été très-peu peignés ; c'est à ce titre que les Bretonnes et les Normandes, si connues pour leur affreuse  coiffure, fournissent les meilleures. La Normandie et la Bretagne sont loin de suffire  aux demandes ; aussi des coupeurs de cheveux exploitent-ils tout le Centre et le Midi, et viennent-ils ensuite à Paris, deux ou trois fois par ans, pour leurs ventes. Le prix des cheveux varie beaucoup ; il n'y en a pas au-dessous de 10 fr. la livre, et il y en a beaucoup qui vont jusqu'à 90 à 100 francs".

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   A suivre :  la femme du coiffeur