La parfumerie...
Sous le second empire
Ce petit texte est extrait de " La Physiologie du COIFFEUR , de L.Lemercier de Neuville , en 1862
Cette physiologie ne serait complète si je ne disais pas quelques mots sur la parfumerie, qui vient si puissamment en aide aux coiffeurs.
Avant tout,je constaterai l'exellence de la parfumerie sur toutes les autres : Cologne avec son eau, FlorenceTunis avec ses essences de rose et de jasmin, ont conservé cependant leur réputation, mais le véritable centre de cette industrie est la France et surtout Paris.
avec ses parfums et
Aujourd'hui l'usage des parfums commence à reprendre ; non pas qu'il atteigne l'exagération qui existait à Rome à l'époque des empereurs, mais grâce aux combinaisons des chimistes modernes, les eaux de senteur et les essences font partie de l'hygiène.
Tableau de Sir Lawrence Alma-TademaIl n'y a pas bien longtemps, qu'on n'employait pour les mains que ce petit savon de Marseille, à nervures bleuâtres, dont l'odeur n'était rien moins qu'agréable ; les femmes seules se servaient des savons à la guimauve et à la rose ; aujourd'hui les moindres savons sont préparés à toutes les odeurs : benjoin, violette, vétivier, mousseline, etc.; ils sont dulcifiés et joignent à leur arome des qualités émolllientes et adoucissantes.
Je citerai dans cette spécialité les savon au suc de concombres, qui donne à la peau délicate des femmes cette douceur, ce velouté et ces tons délicats et transparents si recherchés par les amateurs.
On devine de quels amateurs je veux parler !
Pendant que je suis sur les savons, je ne puis résister au plaisir de raconter une anecdote.
La marquis de G... avait un amant : le comte P...
C'était un beau cavalier qui l'adorait éperdument et qui, d'ailleurs, était payé de retour.
ne serait pas piquante sans cela, et son mari était un jaloux de premier ordre.
Jamais geôlier ne fut plus sévère, jamais avare ne couva son trésor avec plus de soin.
Cependant le marquis s'absentait chaque soir, à des heures différentes, pour aller au cercle, et la marquise profitait de ce moment pour recevoir le comte.
Or, comment avertissait-elle le comte ?
Les deux amoureux avaient le même parfumeur, et ce parfumeur avait un commis qui avait été gagné par le comte.
Madame la marquise envoyait chercher un savon, et l'odeur de ce savon, dont le comte était immédiatement averti, lui indiquait l'heure du rendez-vous.
Voici l'horloge odorente et amoureuse des deux amants :
- Savon à la violette de Parme ................. Huit heures du soir.
- Savon rose de Turquie ........................... Neuf heures.
- Savon suc de laitue ................................ Dix heures.
- Savon royal yatch-club ........................... Onze heures.
- Savon spring-flower ............................... Minuit.
Le commis n'était pas dans la confidence ; avec un étonnement qui se conçoit d'ailleurs, sitôt la commande de la marquise livrée, il accourait chez le comte et lui disait par exemple :
- Madame la marquise a pris ce soir un savon au suc de laitue.
- C'est bien disait le comte ; et il commandait sa voiture pour dix heures.
A la fin de l'année, le marquis de G... reçut une note de parfumeur, sur laquelle il remarqua avec effroi 365 savons extrafins et surfins. Il en fit la remarque à la marquise, qui avoua sa faiblesse, mais promit de ne plus être si prodigue.
Mais elle avait son idée : le soir même le comte recevait un petit billet ainsi conçu :
Cher Comte,
Mon mari aime moins les savons que moi, désormais, si vous vous le voulez bien, les pommades et les vinaigres les remplaceront : Voici la nouvelle Horloge :
- Eau de Cologne des Princes ................. Huit heures.
- Eau d'Albion ........................................Neuf heures.
- Pommade Régénératrice ....................... Dix heures.
- Crème Duchesse ................................. Onze heures.
- Lait Prophylactique .............................. Minuit.
L'année finit, le marquis trouva encore une note trop grosse chez le parfumeur ; on changea de nouveau l'horloge. - Ce manège dura cinq ans, et tous les parfums de la terre embaumèrent cet amour, jusqu'au jour où s'étant trompé de pommade, la marquise compromit forcément le comte, qui se trouva nez à nez avec le mari ; ... Celui-ci flaira l'adultère et provoqua le comte, qui fut blessé et partit.
Depuis ce temps Mme la marquise de G... ne peut plus sentir les parfums.
Voici mon anecdote contée, elle taquinait le bout de ma plume.
Pour en revenir à nos moutons, et ne pas fatiguer le lecteur, je veux lui montrer l'importance et les progrès de la parfumerie actuelle. Il me serai impossible de faire une statistique exacte et un état comparatif, mais je prendrai, comme exemple une des premières maisons de Paris, la maison Gellé frères.
Il y a dix ans, cette maison faisait pour 900,000 fr. d'affaires à peu près, aujourd'hui elle en fait pour 1,800,000 fr, c'est-à-dire que les affaires ont doublé.
Elle a un personnel de 125 personnes : 30 commis voyageurs et 95 ouvriers. Sa machine à vapeur, de 25 chevaux, économise une centaine d'ouvriers.
Je renonce à détailler son débit. Quand je dirais que par année elle emploie 90,000 kilos de graisse de porc, qu'elle expédie 160,000 douzaines de savons, qu'un seul produit : l'extrait de moëlle de boeuf au quinine, arrive au chiffre de 90,000 flacons vendus, que par mois elle emploie pour 9,000fr. de verrerie ; 2,000 fr. de porcelaines ; - 2,000 fr. de cartonnages, 3,000 d'impressions, et au moins 5,000 fr. d'accessoires tels que bouchons, ficelles, emballages, etc.; quand je vanterais tel ou tel de ses produis, je ne ferais que confirmer le lecteur dans cette idée que la parfumerie a fait d'immenses progrès et prend chaque jour un développement de plus en plus considérable.
Ce que je dis de la maison Gellé frères s'applique également aux autres maisons importantes, dans des proportions relatives.
Je ne veux pas entrer dans des détails techniques qui ne conviennent pas à cet ouvrage ; il me semble déjà que je suis imprégné d'essence, ce qui n'est pas bien pour un homme ; car le proverbe latin subsiste toujours :
"Male olet qui bene olet ; bene olet qui nihil olet "
"Sent mauvais qui sent bon ; sent bon qui ne sent rien"
Mais les parfum d'aujourd'hui, ceux que je viens de citer surtout, sont si fins et si subtils, qu'étant employés sagement ils permettent de modifier la seconde partie du proverbe : "Sent bon qui sent peu."
Si vous avez apprécié la "Physiologie du coiffeur", voici deux autres livres qui sont des ouvrage de 1863 et de 1865 que vous pouvez voir sur Biblioparfum
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